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Dockes Vers un principe de défaveur?

September 21, 2009 By: udo.reifner Category: 2009 Trento, Labour Law

Vers un principe de défaveur ?

Quand le droit européen affronte la tradition des droits nationaux[1]

Emmanuel Dockès

Sous des noms divers, une idée assez simple semble toujours actuelle au sein du droit du travail de nombreux droits des Etats membres de l’Union européenne. En droit français, on parle de principe de faveur, en droit allemand de Günstigkeitsprinzip, en Italie de derogabilità in melius, … Une étude comparatiste plus poussée serait nécessaire por mieux montrer la force, mais aussi les limites de cette idée commune. D’autant que cette idée semble désormais menacée en droit européen.

Ce principe de faveur est reconnu et décrit principalement en droit du travail. Ceci s’explique principalement par la plus grande diversité, dans cette matière, des sources du droit. La présence de conventions collectives a conduit à la multiplication des conflits de normes, et donc à la meilleure expression du principe. L’idée sous-jacente, pourtant, n’est nullement propre au droit du travail. Elle découle du sens même des principales règles de cette branche du droit. Les règles de droit du travail ont pour objectif, le plus souvent, de protéger la partie faible au contrat, le salarié, contre les excès du pouvoir de la partie forte, l’employeur. Lorsque la règle prévoit, par exemple, un certain nombre de jours de congés payés, parce qu’elle a pour objet de protéger la partie faible, la règle s’interprète comme l’expression d’un minimum en faveur de cette partie. La partie forte n’est nullement protégée par la règle et rien n’interdit au salarié, ou aux syndicats, d’obtenir davantage de jours de congés.

L’idée est simple. Elle se retrouve notamment en du droit des assurances, en droit du droit du crédit, du droit de la consommation… En principe, les règles de ces branches n’interdisent pas la mise en place de normes plus favorables au consommateur que les minima qu’elles créent. Lorsqu’une loi exige un délai de rétractation de sept jours au profit du consommateur, elle n’interdit pas de stipuler un délai de rétractation supérieur … Tant que la logique protectrice de la règle prédomine, le principe est celui de l’autorisation des dispositions plus favorables à la personne protégée.

Longtemps, le droit européen a suivi cette logique. Les directives droit de la consommation et du droit du travail, notamment, ont traditionnellement prévu qu’elles ne s’opposaient pas à la mise en place de protections plus importantes par les Etats membres[2]. Le droit européen était alors conçu comme un minimum de protection. Cette solution conforme à la tradition juridique européenne demeure encore la règle. Elle est cependant aujourd’hui menacée, au nom des libertés économiques du traité CE.

Les règles du droit européen sont aussi comprises comme des règles qui visent à fluidifier le marché et à protéger les libertés économiques des traités. Ces finalités ont tendance à devenir premières, et les finalités protectrices secondes. Les protections de la partie faible sont alors comprises comme des restrictions portées aux libertés économiques du traité. Elles ne valent que si elles sont justifiées et proportionnées à leur justification. La logique n’est pas nouvelle. Elle s’était déjà exprimée au sein du très célèbre arrêt Cassis de Dijon (CJCE 20 février 1979, Rewe-Zentral AG contre Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, Affaire 120/78). Mais elle s’est aujourd’hui généralisée et, surtout, la contrôle de justification s’est considérablement durcit.

Lorsque cette logique prédomine, le maintien d’un principe de faveur devient très hypothétique. Logiquement, la restriction d’une liberté fondamentale doit s’interpréter plutôt comme un maximum que comme un minimum.

En droit du travail, ce changement de logique s’est exprimé avec force dans les très célèbres arrêts Viking, Laval, Rüffert et Luxembourg[3]. Les deux premiers arrêts ont considéré que le droit de grève, quoique reconnu droit fondamental, n’était qu’exceptionnellement valide, lorsqu’il s’opposait aux libertés économiques du traité. Dans les deux derniers, le travail était exécuté dans un État au droit du travail relativement protecteur. Celui-ci avait imposé l’application de certaines de ses règles protectrices aux salariés détachés sur son sol. Dans les deux cas, cette exigence est jugée contraire au droit européen, malgré le texte de directives applicables, qui autorisait l’application du droit national plus favorable[4].

L’interdiction des protections supplémentaires édictées par les Etats membres se développe désormais au sein de certaines directives. Celle-ci sont dites d’ « harmonisation complète », ce qui signifie que les règles protectrices qu’elles posent sont insusceptibles d’être améliorées dans les Etats membres[5]. Le projet de directive de la Commission européenne relative aux droits des consommateurs, du 8 octobre 2008 (COM(2008) 614 final) est de ce type[6], ce qui d’autant plus inquiétant que le champ d’application de cette directive s’avère fort large et pourrait toucher l’essentiel du droit de la consommation.

Cette solution d’une protection maximale est parfaitement logique dans un univers où les libertés économiques des entreprises et les impératifs de fluidité du marché prédominent. La solution n’en est pas moins une hérésie, dans les droits des Etats membres qui restent fondés sur l’idée de protection.

L’unification au sein de l’Union européenne du droit des contrats était une idée issue d’abord du droit comparé et de la recherche de ce qui fait l’unité au sein du droit des différents pays membres (v. not. la commission Lando). Ici, l’unification est prônée contre la tradition commune des Etats membres. Pareil glissement conduit le droit européen à prohiber de plus en plus certaines accordées par les Etats membres. Les solutions retenues par les pays à forte protection sont désormais directement menacés.

[1] – Ebauche en vue d’une intervention au sein de la réunion de l’Eusoco, à Trente, le 25 septembre 2009.

[2] – v. par ex. en droit de la consommation, dir. 97/7/CE du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (art. 14) ; dir. 1999/44/CE du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (art. 8) ; dir. 93/13/CEE du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (art. 8), etc…

[3] – CJCE 11 déc. 2007, Viking, aff. C-438-05, CJCE 18 déc. 2007, Laval, aff. C-341-05; CJCE 3 avr. 2008, Rüffert, aff. C-346-06 ; CJCE 19 juin 2008, Luxembourg, aff. C-319-06.

[4] – La directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 prévoit que les États peuvent faire bénéficier les salariés détachés des « dispositions d’ordre public » de leur droit national (art. 3.10, tiret 1, dir. 96/71). Elle affirme de plus, comme par redondance, que ses articles relatifs au droit du travail ne « font pas obstacle à l’application de conditions d’emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs » (art. 3.6, dir. 96/71).

[5] – V. déjà, timidement, la dir. n°2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs (art. 3.5) et de manière plus ferme l’article 22, de la dir. 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs.

[6] – V. son article 4.

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